Est-il permis d’inviter une personne en conversion lors du Seder de Pessa’h ?

Écrit par
Yona Ghertman
Publié le
28/3/2025

 

En naviguant sur Internet, on trouve des réponses très différentes à ce sujet :

Sur le site du Rav Ron Chaya, ce dernier répond d’une manière très succincte qu’il estinterdit d’inviter quelqu’un en conversion au seder de Pessa’h :

https://myleava.fr/une-non-juive-en-conversion-peut-elle-etre-invite-a-la-table-du-seder-de-pessah/

A l’inverse, sur le site cheela.org, le Rav S.D Botschko rapporte au nom du Rav Yehouda HENKIN que cela est tout-à-fait permis à condition que l’on ne cuise pas spécifiquement pour lui :

https://www.cheela.org/node/23388

Enfin, sur le site de Torah-box, le Rav Gabriel Dayan le permet en cas de nécessité, et avec une procédure particulière à respecter :

https://www.torah-box.com/question/inviter-une-personne-non-encore-convertie-au-seder-de-pessa-h_10104.html

 

Dès lors, comment agir en pratique ?

 

Réponse :

 

Il est important d’habituer une personne en conversion à bien faire le seder de Pessa’h selon la Halakha, car la théorie ne suffit pas dans l’apprentissage dela Torah. Or, si personne ne l’invite, on prend le risque que la personne ne sache pas bien comment procéder au seder de Pessa’h une fois convertie. Il est donc recommandé de l’inviter, tout en respectant certaines précautions qui seront détaillées par la suite.

 

Explication détaillée :

 

1/ L’interdiction d’inviter un non-Juif à Yom-Tov

 

Contrairement au Shabbat, où il n’y a aucun interdit d’inviter un non Juif, les ‘Hakhamim l’ont interdit à Yom-Tov par crainte qu’on en vienne à cuire pour lui[1].

Expliquons cet interdit :

La Torah autorise de cuisiner à Yom-Tov (à partir d’une flamme existante), contrairement au Shabbat : « Ce qui peut êtremangé par toute personne, cela seulement sera fait pour vous »[2].

De cette précision – « pour vous » -les Sages du Talmud déduisent que l’autorisation de cuisiner (à partir d’une flamme existante) ne concerne que les Juifs. Ainsi, il est interdit de cuisiner pendant Yom-Tov pour les non Juifs.

Il convient de préciser que le Yom-Tov intervient dans le cadre des fêtes de pèlerinage, qui s’appellent « Mo’adim /rencontres ». Il s’agit d’un moment privilégié de rencontre entre Hachem et le peuple juif. Pour que la joie soit au rendez-vous, il a été permis de cuisiner ce jour-là. Logiquement, cette autorisation n’a été accordée que pour les Juifs, car ils sont les acteurs de ces « rencontres »privilégiées.

Le fait de cuire pour une autre raison n’est donc pas permis par la Torah. Afin qu’il n’y ait pas de confusion à ce sujet, les ‘Hakhamim ont donc interdit d’inviter un non Juif à la table du Yom-Tov, par crainte qu’on en vienne à cuisiner pour lui. Les Richonim débattent de la raison de fond :

-         Selon le Rachba et le Ran[3], le risque est d’en venir à cuire pour lui des aliments interdits aux Juifs. Cependant, dans un cas où l’on prépare uniquement des aliments cachères dans la même casserole, il n’y aurait pas d’interdit à les inviter. D’après cela, l’interdit ne concernerait pas les employés de maison partageant habituellement le même repas que la famille juive[4].

-         Les autres Richonim[5] n’établissent pas cette distinction et comprennent simplement de la Guemara qu’il y a un risque de cuire « pour lui », sans préciser de quelle nourriture s’agit-il.

 

Le Shoul’han ‘Aroukh[6]reprend cette conclusion du Talmud interdisant d’inviter le non Juif à Yom-Tov « par crainte qu’on en vienne à rajouter pour lui », sans reprendre la distinction établie par le Rachba et le Ran concernant le risque de cuire de la nourriture non consommable par le Juif. Malgré tout, il accepte l’idée que l’employé de maison ne soit pas inclus dans cet interdit, car « on ne risque pas de rajouter pour lui »[7].En d’autres termes, le problème de cuire « pour lui » n’existe que dans le cas où l’on prépare une casserole spécifique pour l’invité, mais si on lui donne à manger de ce que nous avons déjà préparé à notre intention, il n’y a là aucun interdit. Or, en ce qui concerne les employés de maison ou les « invités »de dernière minute, l’habitude est de ne pas leur préparer un plat spécifique dans une casserole séparée[8].

 

2/ Y a-t-il une différence à établir entre un non Juif et une personne en conversion en ce qui concerne l’interdit d’inviter à Yom-Tov ?

 

Le Talmud n’établit pas de différence explicite à ce sujet. Cependant, le Rav Moshé Klein déduit dans un premier temps des propos du Ran et du Rachba qu’il serait permis d’inviter un non Juif en cours de conversion, car il n’y a pas le risque de cuisiner de la nourriture non consommable par le Juif, étant donné qu’il mange lui-même cachère[9].Toutefois, il rappelle par la suite que cette déduction ne saurait constituer une conclusion pratique, étant donné que les autres Richonim – suivis par le Shoul’han‘ Aroukh – n’établissent pas cette distinction[10].

Cependant, dans le cadre du sujet de l’interdiction pour les non Juifs d’étudier la Torah, le Talmud n’effectue pas non plus de distinction entre une personne en cours de conversion et une personne non Juive n’ayant pas l’intention de se convertir. Or, on remarque malgré tout qu’une partie des A’haronim considèrent que la loi est différente lorsque le non Juif veut se convertir. L’idée mise en avant est que la personne en conversion doit nécessairement étudier pour devenir juive[11].

Logiquement, cette idée est également valable en ce qui concerne l’invitation d’une personne en conversion pour Yom-Tov, car il convient de la rapprocher afin de l’habituer aux mitsvote.

En pratique, on retrouve cette distinction entre le non Juif et le non Juif en conversion chez des décisionnaires renommés :

-         Alors que le Michna-Beroura écrit qu’il n’est pas suffisant de tout préparer avant Yom-Tov pour l’invité non Juif, car il reste le risque d’en venir à cuire davantage pour lui[12],le Rav Nissim Karlits l’autorise dans le cas d’une personne encours de conversion[13].Cependant, il exige pour cela que l’hôte lui fasse acquérir son repas avant Yom-Tov[14].

-         Quant au Rav Shlomo Zalman Aeurbach, il donne deux raisons justifiant d’inviter une personne en conversion à Yom-Tov : Tout d’abord, le risque de rajouter à la préparation du repas spécifiquement pour le non Juif existe uniquement dans le cas d’un invité de marque, mais non pour une invitation dans l’objectif que la personne ne se retrouve pas seule. De plus, l’invitation a ici l’objectif d’apprendre la bonne pratique de la Torah à celui qui est en conversion. Il n’y a donc pas à craindre qu’il « rajoute pour lui, car au contraire, on en profitera pour lui apprendre qu’une telle chose est interdite »[15].Ceci est valable lorsqu’il s’agit de l’invitation d’une personne seule, et la condition de faire acquérir les plats par l’hôte n’est pas mentionnée ici. En revanche, en ce qui concerne l’invitation d’une famille entière, il recommande d’être plus strict, car le risque de préparer spécifiquement pour eux est bien plus présent[16].

 

3/ La participation d’une personne en conversion au seder de Pessa’h

 

Les décisionnaires du siècle dernier se sont demandé s’il y avait une raison supplémentaire d’interdire à un non Juif de participer au seder de Pessa’h.

Rav Moshé Feinstein permet qu'un non Juif marié à une personne juive de la famille soit présent à la table du seder de Pessa'h. La problématique développée est celle de l'interdit d'enseigner la Torah aux non Juifs. Le Rav conclue en permettant car on ne lui enseigne pas directement, mais au sein de l'assemblée des gens présents[17].

Certains décisionnaires se sont également demandé s’il était permis au non Juif de manger l’Afikoman, ce morceau de matsa représentant le korban Pessa’h, qui ne pouvait pas être mangé par un « étranger »[18]. Bien qu’il y ait débat à ce propos, le Yalkout Yossef conclut qu'il s'agit d'une 'houmra (attitude rigoureuse) qu'il est bon d'adapter. Cependant, selon la stricte halakha, il n'y a pas d'interdit[19].

 

En ce qui concerne celui qui est en conversion, le problème de lui enseigner la Torah ne se pose pas selon l’opinion des décisionnaires établissant une distinction entre le non Juif et la personne en conversion, à qui il est permis d’enseigner la Torah[20].Ainsi, en ce qui concerne sa présence lors de l’étude de la Haggada de Pessa’h, cela sera permis à priori d’après cette opinion.

De plus, en ce qui concerne la consommation de l'afikoman, la raison apportée par ceux qui interdisent de le transmettre au non Juif est que cela consisterait en "un mépris de la mitsva"[21].

On peut en effet comprendre que la matsa et les éléments du seder ne sont pas que des simples aliments à manger ('hasvé Shalom),mais des instruments apportant un sens profond à la mitsva. Aussi les donner à consommer à une personne sans rapport avec la mitsva représente une véritable incohérence qui peut être perçue légitimement comme un mépris de la mitsva.

Or, cette raison ne concerne pas une personne qui a un rapport avec les mitsvote et qui peut donc ressentir ce rapport lors de la consommation. C'est pourquoi le Rambam écrit que le "guer tochav" peut manger la matsa et le maror, bien qu'il ne soit pas un "guer tsédék", donc pas converti[22].C'est que le guer tochav a un rapport aux mitsvote. On peut alors avancer que la même idée s’applique pour la personne en cours de conversion qui est entrain de construire son rapport à la Torah, et pour qui cette consommation dépasse clairement un simple repas.

 

Conclusion

 

Dans le Michnat haGuer, le Rav Moshé Klein écrit:

« Certains écrivent que la mistva d’aimer le converti commence dès qu’il apparaît clairement qu’il a la volonté et le désir de s’abriter sous les ailes de la présence divine, et non uniquement une fois qu’il a terminé son processus de conversion. Par conséquent, il convient de l’aider dans tout ce qui est nécessaire lorsqu’il est en cours de conversion »[23].

Il est certain qu’inviter une personne en conversion au seder de Pessa’h afin de lui permettre d’observer comment bien respecter la Halakha durant cette soirée fait partie de l’aide recommandée. Et comme nous l’avons vu, la raison de la majorité des restrictions applicables à l’invitation des non Juifs au seder de Pessa’h ne s’applique pas aux personnes en cours de conversion.

Cependant, il ne faut pas oublier que la Torah ne permet de cuire à partir d’une flamme existante que pour un Juif. Or, la personne en conversion ne fait pas exception, car elle n’est pas encore juive, et n’est donc pas encore incluse dans le « pour vous » du verset permettant de préparer à manger spécifiquement le jour de Yom-Tov[24]

Dès lors, il sera interdit de cuisiner spécifiquement pour elle le jour de Yom-Tov. Par exemple, alors qu’il est permis de sortir une casserole d’eau froide pour la poser sur la plata durant Yom-Tov (ce qui est totalement interdit à Shabbat), on ne le fera pas spécifiquement pour un homme en conversion s’il est le seul à vouloir un café et qu’il n’y a pas d’eau chaude.

 

Malgré ces quelques précautions, il faudra faire le maximum pour inviter des personnes en conversion et faire en sorte que ces dernières se sentent à l’aise chez nous, afin de les rapprocher vers la Torah. Un bon accueil constituera alors une très grande mitsva, car il peut être le déclencheur de sentiments d’amour vis-à-vis de la Torah et d’une volonté de respecter pleinement et scrupuleusement la Halakha.

 

 

 

[1]Betsa 21b.

[2]Shémote 12, 16.

[3]Commentaires sur Betsa, op. cit., (Rachba s. v. « guezéra » ;Ran sur le Rif 10b, s. v. « véein mézamnin »).

[4] Ran, Ibid.

[5]Cf. Roch, Betsa 2, 14 et Tour Ora’h ‘Haïm512, 1.

[6]Ora’h ‘Haïm 512, 1.

[7]Ibid.

[8]Michna Beroura 512, 9.

[9]Michnate HaGuer (édition 5784) 2, 6, note 26.

[10]Ibid.

[11]Cf. Maharacha, commentaire sur Shabbat 31a ; Michnate HaGuer(première édition), ch.15

[12]Ora’h ‘Haïm 512, 3. Cf. toutefois sur place d'autres avis considérant qu'il n'ya pas de distinction à établir entre un non-Juif et une personne en conversion.

[13]Lékete Hilkhote Yom-Tov 3, note 4, citée dans Michna Broura Dirchou,Hilkhote Yom-Tov 512, note 8. Cf. toutefois sur place d'autres avis considérantqu'il n'y a pas de distinction à établir entre un non-Juif et une personne enconversion.

[14]Pour cela il faudra que l’hôte lève un objet lui appartenant et déclare ainsique tout le repas que mangera son invité lui appartient. Il n’est pasnécessaire que l’invité soit présent à ce moment, ni de le rendre au courant dece procédé, en raison du principe de la Michna selon lequel on peut accorder unmérite à quelqu’un même lorsqu’il n’est pas là (Erouvin 7, 11 ; Guittin 1,6).

[15]Shoul’han Shlomo 512, note 5, cité dans Michnate HaGuer (édition5784) 2, 6, note 28.

[16]Ibid.

[17]Iguerote Moshé Yoré Déa 2, 132, rapporté également dans Yalkoute Yossef Pessa'h3ème tome, 473, 20, p.382.

[18]Shémote 12, 43.

[19]Cf. les différentes positions rapportées dans Yalkoute Yossef, ibid. 475, 54,p.545.

[20]Cf. supra.

[21]Rakanti, cité dans le Taz Ora'h 'Haïm 167, 18.

[22]Hilkhote Korban Pessa'h 9, 8.

[23]Hilkhote Guérim 14, 2. Dans la note 7, le Rav écrit que cela suit l’opinion duR’I Albarceloni, bien qu’il semblerait que tel n’est pas l’avis du Rambam.

[24]Shémote 12, 16 ; Betsa 21b ; cf. supra.

Yona Ghertman
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