Sera-t-il possible de se convertir après l’arrivée du Machia’h ?
Une beraïta enseigne : « On n’accepte pas de convertis durant l’époque messianique. Dans le même ordre d’idées : On n’acceptait pas de convertis aux époques de David et de Shlomo »[1].
Tossfot souligne qu’il y a pourtant deux exemples dans lesquels on constate que des personnes ont été converties à ces époques[2].Il explique alors que ces derniers avaient déjà un certain standing qui prouvait que cette conversion ne se faisait pas dans l’objectif de partager « la table des rois / shoul’han mélakhim»[3].
Par cette réponse, Tossfot relie cette beraïta à un enseignement rapporté précédemment, dans lequel un débat existe quant aux personnes se convertissant en raison de plusieurs intérêts annexes non-liés à la Torah, parmi lesquels la volonté de se convertir pour faire partie de la haute société (shoul’han mélakhim). La conclusion du Talmud est que de telles conversions sont interdites à priori. C’est pour cela que les conversions furent bloquées aux époques des rois David et Salomon. Etant donné qu’il s’agissait de périodes fastes pour Israël, il y avait une présomption que les personnes venant se convertir soient motivées par l’intérêt de profiter de la situation idyllique des juifs dans ces périodes[4].La raison de l’interdiction des conversions à l’époque messianique est donc similaire[5].
Toutefois, il apparaît de la réponse de Tossfot que si des éléments objectifs prouvent qu’une personne veut vraiment se convertir pour la Torah, cette dernière peut alors être accueillie à priori. Certes, Tossfot traite uniquement de l’époque des rois David et Shlomo. Cependant, puisque la raison de l’interdiction est la même pour la période messianique[6],la logique est donc similaire : Les personnes voulant se convertir avec une motivation sincère et indiscutable seront alors acceptées[7].
Qu’en sera-t-il des autres ?
A la suite de son explication, Tossfot cite des exemples de conversions moins sincères aux époques des rois David et Shlomo, accomplies sans l’assentiment du grand Sanhédrin. Le statut de ces conversions est discuté[8].
Ce genre de conversions « douteuses » auront-elles également lieu à l’époque messianique ? Le Rambam écrit que le roi Machia’h rétablira la royauté de David comme à sa splendeur originelle et que « toutes les pratiques de la justice reviendront comme auparavant »[9].Faut-il comprendre de ces propos que tout se passera comme à l’époque du roi David, et que par conséquent, des conversions seront également susceptibles de se faire sans l’assentiment du grand Sanhédrin ? Ou bien le Rambam fait-il référence à une période durant laquelle la puissance du roi David était telle que personne ne se serait permis d’aller à l’encontre d’une directive du grand Sanhédrin ?
La deuxième option semble plus logique, car on s’attend effectivement à une justice parfaite durant l’époque messianique. Le Talmud présente en effet le Machia’h comme étant capable de juger par son seul odorat[10],signifiant par là que son sens de la justice sera totalement parfait. Comment envisager alors qu’il reste de la place pour des conversions à postériori conclues sans son accord ?
De plus, le Rambam écrit que l’une des tâches du Machia’h sera d’enlever tout doute quant à la lignée des familles d’Israël[11]. Dès lors, comment pourrait-il laisser des conversions « douteuses » ? Enfin, la période messianique se concrétisera par une recherche constante de la Torah et de la connaissance des voies d’Hachem[12].Dans de telles conditions, comment imaginer qu’il reste une place aux conversions dont la sincérité est discutable ?
Toutefois, toutes ces déductions inspirées des propos des Sages du Talmud et du Midrash en ce qui concerne les temps messianiques doivent être nuancées. En effet, le Rambam écrit lui-même qu’il ne s’agit que d’hypothèses,mais que personne, pas même les prophètes, ne sait vraiment de quelle manière précise cela se passera[13].
Conclusion
Il semble que les conversions seront encore possibles après la venue de Machia’h, mais uniquement en ce qui concerne les conversions parfaitement sincères, sans intérêt autre que celui de rentrer sous le joug de la Torah et des mitsvote en servant Hachem.
Cependant, cette réponse doit être nuancée par le fait que personne n’est en mesure d’affirmer avec certitude la manière dont les choses se dérouleront précisément lors de la période messianique.
Notes
[1]Yébamote 24b.
[2]La fille du Pharaon et Iti haGuitti.
[3]Commentaire sur Ibid. Cf. aussi Yebamote 76a.
[4]Selon le Rambam (Hilkhote Issouré Bia 13, 15), il convient de faire une distinction entre l’époque de David, durant laquelle les voisins d’Israël voulaient se convertir par crainte du roi ; et celle de Shlomo, durant laquelle leur motivation première était liée à la prospérité du royaume.
[5]En effet, la beraïta met en parallèleles les époques royales et celle du Machia’h, comme cela ressort du mot כיוצא בו signifiant « comme il en découle / dans le même ordre d’idées ». Ainsi, il ressort de cette formulation que la motivation de l’interdiction d’accepter des conversions à l’époque messianique est la même que celle prévalant aux époques de David et Shlomo.
[6]Ibid.
[7]Cf. également une idée similaire chez le Meïri dans son commentaire sur ce passage de Yébamote 24b.
[8]Comme cela ressort également des propos du Rambam (Hilkhote issouré bia 13,15).
[9]Hilkhote Mélakhim 11, 1.
[10]Sanhédrin 93b.
[11]Hilkhote Mélakhim 12, 2-3.
[12]Ibid.12, 4-5.
[13]D’autant plus qu’il y a plusieurs hypothèses divergentes dans le Talmud sur le scénario de l’époque messianique (Ibid. 12, 2).
A propos du Rav
De formation universitaire (titulaire d’un doctorat en Droit), Rav Yona GHERTMAN s’est tourné vers des études de Kodech, à la Yechiva, puis au Collel de Nice (CEJ), où il étudie encore aujourd’hui. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages sur le judaïsme, dans lesquels il puise parmi les sources traditionnelles, qu’il présente d’une manière structurée et pédagogique au public francophone.
Aujourd’hui marié et père de quatre enfants, il partage son temps entre l’étude, l’enseignement de la Torah, et le rabbinat, où il s’occupe notamment des conversions au judaïsme.